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L'homme qui aime sauver les vieilles maisons
par Mireille Forget le 2022-03-31

À vingt ans, Gilles Doyon, à peine sorti de l’école de sculpture de Saint-Jean-Port-Joli, choisit de s’installer à Saint-Roch-des-Aulnaies avec sa femme et son enfant.   Pendant une dizaine d’années, il exerce son métier de sculpteur sur métal.  Un jour, une remarque bien sentie de Jacques Bouchard, un résident du rang Saint-Joseph de Sainte-Louise, le touche profondément.

Commentant l’abandon de la maison Soulard, ce bel édifice de pierres situé au bord de la Route 132, en face de la place de l’Église, qui a été dévastée en 1975 par un incendie majeur, le menuisier avoue avoir eu envie de «garrocher» sa ceinture de menuisier en constatant le peu de valeur accordée à l’époque aux bâtiments du patrimoine.


La maison Soulard 

M. Doyon, touché au coeur, décide de l’acheter en 1978.  La maison est alors appelée la maison Keable et elle est la propriété de Marcelle Desjardins, auteure, et de Jacques Keable, journaliste à Radio-Canada.  Il l'acquiert pour 5000 $ avec l'idée de la restaurer et d'en faire un lieu culturel. Sans aucune subvention, il obtient un prêt de la Caisse Populaire de Sainte-Anne-de-la-Pocatière. Le bâtiment n’est, à ce moment-là, qu’une ruine d’environ 33 pieds de profond par 63 pieds de longueur, sans toit. 


Gilles Doyon, un touche-à-tout génial

À l'été 1979, avant même les travaux, une nuit de la poésie y attire la jeunesse de la province; ils seront plus de 200 à participer.  Ce fut une fête mémorable sous la pluie qui s’infiltre dans la maison malgré les toiles installées sur les poutres d’un toit non fermé. Les musiciens de l’orchestre en reçoivent leur part! C'est d'ailleurs à cette occasion que la comédienne Louise Portal a fait son premier tour de chant sur scène...

Afin de relever le défi de la reconstruction, Gilles Doyon décide, aidé de deux personnes, de démanteler la moitié de la grange de 140 pieds située à l’arrière du terrain afin de récupérer le bois nécessaire à la restauration du toit. On utilisera des matériaux recyclés. Les poutres du plafond du deuxième étage n’ont pas brûlé, mais elles sont carbonisées.  Alors Gilles lance un concours amical afin de trouver celui qui terminera le premier le sablage d’une des 7 poutres restantes et il offre un prix de 100$. (Gagnants: Pierre Lepage et Coco Roussel) Toute une journée de poussière noire qui se terminera par une pizza et une bonne bière entre amis! 


Premier musée d'art contemporain du Bas-Saint-Laurent 

M. Doyon, aidé principalement par son frère Pierre-Alexis Doyon et Adalbert Lord dit Dalo, choisit une isolation intérieure afin de préserver la belle prestance de la pierre extérieure. Une partie de l'ossature est en assez bon état et il s'en inspire pour refaire la partie manquante. Les deux tiers du rez-de-chaussée deviendront la future salle d’exposition. Puis, on restaure les poutres du plafond qui soutiennent le deuxième étage sur toute la largeur des 63 pieds.  

On ajoutera 2 petits logements, l’un à l’étage, l’autre au fond, réparti sur les deux étages. Le toit imposant sera recouvert de bardeaux de cèdre et tout sera terminé le 26 décembre 1979. Plusieurs artistes du coin participeront au chantier à un moment ou l’autre dont Jean Petitpas, Benoit Clavet, Jacques (Coco) Roussel, Pierre Lepage, Raymond Brouillard (Ti-Raymond) et d’autres. 


Maison Jean-Baptiste Soulard, Centre d’expositions du Bas-Saint-Laurent 

Peu à peu, le projet prend forme. Le Musée est géré par une corporation à but non lucratif dont la responsabilité est de?regrouper et produire des expositions d’œuvres d’artistes sud-côtois de Montmagny jusqu’en Gaspésie: sculpteurs, émailleurs, peintres, tisserands et autres. 

Au fil du temps, on y a aussi donné des cours de danse (Tangente), des représentations de théâtre, ainsi que des projections de films du cinéma Parallèle, événement appelé Ciné-coussins, chaque spectateur étant responsable d’apporter ses coussins, la salle ne comportant aucun fauteuil. 


Bref historique de la Maison Soulard

En 1699, Marie-Anne Saint-Pierre, l’aînée de la famille pionnière Saint-Pierre établie dans partie ouest de la Grande Anse, épouse Jacques Soulard qui a obtenu la concession. Puis, vers 1723, alors qu’elle est veuve, elle éclaircira un différend dans les titres de propriété touchant la pointe de terre où doit être érigée la nouvelle église.  La maison de pierres de style breton qu’on connaît aujourd’hui a été construite en 4 ans à partir de 1760 (toujours après l'année des Anglais...) par la famille Soulard qui a donné 5 curés à la paroisse.  

Située en face de l'église et du presbytère, elle a vu s'écrire l'histoire du village, offrant le gite à tous les mendiants de passage. On y servait aussi la soupe après la messe dominicale, une initiative bien accueillie, surtout en hiver alors qu'il fallait retourner chez soi en attelage et c'était quelques fois aussi loin que la montagne de Pinguet.

Les photos ci-contre ont été publiées dans le journal le Kamouraska du 9 janvier 1980.  L'article est signé par le journaliste J.-B. Pelletier qui ajoute: «Franchement, nous félicitons sincèrement les téméraires promoteurs de ce projet qui, avec des moyens modestes, beaucoup d'imagination et de travail, ont réalisé une oeuvre unique.  Existait-il meilleure ou plus courageuse façon de préserver le patrimoine du milieu tout en trouvant une vocation originale et digne de la noble maison, appelée Maison Keable à ce moment.»


Le début d’une seconde carrière

Outre la maison Soulard, au fil du temps, Gilles Doyon a sauvé de la démolition, 6 bâtiments ancestraux de la région, souvent en les déménageant.  Son approche est originale. Avec peu de moyens et beaucoup d'imagination et de savoir-faire, il a laissé sa trace dans le paysage bâti.  

En voici la liste.  Nous vous raconterons leur petite histoire dans un prochain numéro?: 

1- Hangar de la dîme, autrefois à l’arrière du côté ouest du presbytère de Saint-Roch; devenu La Chimère et plus tard Le Perchoir;

2- Auberge restaurant de la Côte, ouest de la paroisse, aujourd’hui Galerie/Jardin Beauchamp-Bolduc;

3- Maison Richard à Rivière-Ouelle, aujourd’hui Maison Claire Jacques, Saint-Roch-des-Aulnaies;

4- Maison ancestrale des premiers Lebel d'Amérique, aujourd’hui installée rue des Clochers à Saint-Roch-des-Aulnaies;

5- Maison Noëlla Lévesque à Rivière-Ouelle, aujourd’hui propriété de Mme de Mévius;

6- Atelier des frères Dubé, ouest du village de Saint-Roch-des-Aulnaies, présentement en restauration.

Mireille Forget





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Maison Soulard  Gilles Doyon  
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